Présence au monde
Cinquième
repère : bonne façon de gagner sa vie
Les repères précédents que
nous avons énoncés se sont attachés à l'expérience
initiale de notre Présence au monde et à la
transformation, par cette expérience, de notre vie
émotionnelle, de notre communication avec les
autres, et de notre comportement quotidien,
ordinaire. En d'autres termes, jusqu'à présent,
nous nous sommes intéressés à la transformation de
notre moi individuel, distinct. Avec ce repère, la
bonne façon de gagner sa vie, nous nous
intéressons à la transformation de la vie
collective. Notre existence collective a trois
aspects principaux : un aspect strictement social,
un aspect politique, et un aspect économique.
Puisqu'ils occupent la plus grande part de notre
existence éveillée, nos moyens d'existence ont, de
façon évidente, un effet important sur la totalité
de notre être. Je ne pense pas que nous réalisions
toujours ceci. Mais si l'on fait quelque chose
sept ou huit heures par jour (voire plus), cinq à
six jours par semaine, cinquante semaines par an,
et cela pendant vingt, trente ou quarante ans, ce
n'est pas surprenant que cela nous marque, pour ne
pas dire plus. L'effet que notre vie
professionnelle a sur nous est une chose que nous
devrions considérer et à laquelle nous devrions
réfléchir.
Toutes les activités professionnelles comportent
des aspects qui peuvent nous paraître plus ou
moins « éthiques ». Ce n'est pas la peine de
remettre en cause notre emploi parce qu'il exige
de nous, occasionnellement, des pratiques
commerciales ou des actes politiques que nous
désapprouvons, ni parce que nous avons,
globalement, des opinions différentes de celles de
nos employeurs. Nous pouvons nous interroger et
chercher à savoir si ces points heurtent nos
convictions les plus profondes, et si nous pouvons
exercer une action sur eux dans le cadre de notre
activité. Dans le cadre de l’éthique développée
ici, nous ne pouvons exercer une activité qui
exige de nous l’usage de la violence, du mensonge,
de l’abus de confiance, ou d’autres modes d’action
qui seraient en contradiction directe avec cette
éthique.
Le bouddhisme traditionnel va jusqu’à établir une
liste d’activités professionnelles interdites aux
pratiquants, à savoir : commerce d'êtres humains,
commerce d'armes, de viande, de drogues ou de
poisons. Certaines, telle que « marchand d’armes
», restent d’actualité. D’autres (telles que celle
de commerce d’êtres humains) ne peuvent guère se
justifier que dans le contexte social de l’époque
(quoique...). Chaque époque, chaque lieu, chaque
contexte a sa liste d’interdits à examiner
séparément.
Le sens du mot « métier » a même changé. Le terme
«ministerium» en latin classique, qui signifiait à
l'origine «besoin», a donné en français moderne
les mots Ministère et Métier. Nous avons, en fait,
de plus en plus d’activités et de moins en moins
de métiers. Au lieu d’avoir une profession bien
définie, qui exige un apprentissage et une lente
pratique vers l’excellence, nous devons de plus en
plus souvent redéfinir au jour le jour ce que nous
faisons. Beaucoup ont souvent plusieurs activités
différentes successivement au cours de leur vie,
si ce n’est simultanément. Ainsi, de fait, il nous
devient de plus en plus difficile de choisir un
métier : ce sont souvent les tâches à effectuer
qui, le plus souvent, nous « choisissent » au fur
et à mesure qu’elles se présentent. Ceci met en
cause notre capacité à « faire des choix », et en
particulier des choix éthiques. C’est cela même
qui donne la définition du mot « travail » dont
l’étymologie, même si elle est controversée, le
rapproche de « tripalium », instrument de torture.
Devoir « gagner notre vie » dans un monde de
compétition laisse peu de choix pour évaluer notre
activité sur le plan moral, parce que « si je ne
le fais pas, quelqu’un d’autre le fera à ma place
». C’est l’argument du marchand d’armes.
Il est certain que nous ne vivons pas dans un
monde idéal basé sur tous les principes auxquels
nous croyons. Et même, ce « monde idéal » serait
en fait un enfer. Des personnes différentes ont
des besoins différents. Ce qui est bon pour nous
ne l’est pas nécessairement pour les autres. C’est
la raison pour laquelle il est important de garder
dans le monde, et dans la société, des manières de
vivre complexes. Ainsi, nous ne pouvons pas être
en accord avec tout ce que nous voyons autour de
nous, et nous ne pouvons pas non plus approuver
cent pour cent des choix commerciaux, politiques,
sociaux ou éthiques de nos employeurs. Certains de
ces choix peuvent nous paraître mauvais, mais nous
ne sommes pas en mesure de les remettre en cause
en proposant des solutions simples et applicables.
C’est pourquoi, afin de pouvoir exercer une
activité professionnelle, il est nécessaire que
nous acceptions une certaine liberté par rapport à
nos choix politiques, sociaux, éthiques
personnels.
Cela ne signifie pas non plus que nous ayons à
accepter de faire n’importe quoi. Certains choix,
comme de fabriquer des armes, de vendre des
produits dangereux ou inutiles (produits de luxe,
…), de gagner de l’argent par abus de confiance
(publicité, politique, …), de travailler pour un
employeur dont les activités favorisent la misère
et la guerre (banques, fonds de pension, …), sont
clairement néfastes. En ce sens, il me paraît
important de :
1) savoir évaluer les conséquences de son
activité professionnelle,
2) ne pas exercer une activité néfaste ou
en contradiction avec ses convictions morales les
plus profondes.
Dans le cadre de notre activité professionnelle
comme dans le cadre de notre vie personnelle ou
familiale, nous avons une influence sur notre
destin propre et sur l’avenir du monde. Ainsi,
nous constituons toujours un entre-deux, entre ce
qui était avant nous et ce qui sera après nous.
Pour gérer au mieux cette transition, je suggère
de :
a) toujours apprendre quelque chose
de son activité professionnelle, et toujours être
l’élève de quelqu’un,
b) de la même façon, toujours être
l’enseignant de quelqu’un, toujours former de
nouvelles personnes à exercer cette même activité,
de façon critique,
c) savoir modifier son activité de
l’intérieur, pour la rendre meilleure ou plus
conforme à ce qu’on croit juste.
Enfin, pour avoir une présence la plus efficace
possible, et pour pouvoir l’adapter au jour le
jour aux nouvelles situations, je pense important
de :
a) savoir pratiquer
professionnellement plus qu’une seule activité,
b) pratiquer au quotidien une éthique
de travail fondée sur 1/ la confiance, 2/ la
coopération plutôt que la compétition, 3/ la
volonté de trouver l’intérêt de tous.
... {à suivre}
{Chroniques Chan}
Que toutes choses
prospèrent en paix.
雷宓谐 dit Michel
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