Déception et frustration
Déception
et frustration naissent de ce qu’une « réalité »
imaginée ne se produit pas, comme le bonheur
d’une paix gracieuse.
La déception ne vient pas tant de ce
que quelque chose ne se produit pas que de ce que
l’avenir se réalise différemment de l’avenir
imaginé. Par exemple, le fait d’être déçu de ne
pas réussir un examen ne vient pas de l’échec en
soi, mais du fait d’avoir déjà « imaginé » son
existence future en fonction de sa réussite.
Il ne s’agit pas d’être pessimiste tout le temps
et d’envisager systématiquement l’échec et la
non-réalisation de ses désirs. Éviter la déception
ne consiste qu’à laisser l’avenir ouvert, à
envisager différentes possibilités, à imaginer
avec plaisir une réussite, à considérer un échec
avec sérieux et à s’apprêter à affronter
différentes possibilités. Le Tao est un immense
champ de probabilités.
Par exemple, si vous attendez avec plaisir la
visite d’une personne que vous n’avez pas vue
depuis longtemps, vous pouvez imaginer
méticuleusement tout ce que vous allez faire, les
endroits que vous allez visiter, les conversations
que vous allez avoir, et en tirer par avance un
grand plaisir. Mais, ce faisant, vous avez toutes
les chances d’être déçus : la personne en question
a certainement changé ; elle ne s’intéresse
peut-être plus aux mêmes choses ; elle n’a
peut-être pas envie d’aller où vous prévoyez de
l’emmener. Il se peut même qu’elle ne puisse pas,
voire ne veuille pas, venir du tout. Si
vous voulez éviter la déception, il ne s’agit pas
de rejeter votre plaisir et d’adopter une attitude
négative ou pessimiste. Il s’agit seulement
d’accepter le fait que ces autres possibilités
peuvent se produire et que l’avenir sera comme il
sera.
La déception est un changement de réalité, le passage d’une réalité que l’on a imaginée à LA
réalité telle qu'elle est, c’est-à-dire à une
nouvelle vision du monde. La déception est un
refus d’accepter les promesses de cette nouvelle
réalité, ou de considérer que celles-ci sont moins
intéressantes. Ce n’est pas nécessairement le cas.
Les causes des choses sont tellement complexes et
intriquées qu’il est difficile de dire ce qui, au
bout du compte, sera positif ou négatif. Même ce
qui peut apparaître, à première vue, comme le pire
malheur (un accident, une maladie voire un
handicap, un échec voire une dépression, etc.)
peut se révéler par la suite être à l’origine
d’une existence passionnante.
La frustration est, comme la déception, le
résultat d’attentes déçues, mais elle naît
d’une succession de déceptions quant à l’image
qu’on a de soi-même et de sa place dans la
société.
La frustration dépend de nos attentes, et nos
attentes sont plus un miroir social que celui de
nos propres valeurs et de nos propres priorités.
La frustration sexuelle, par exemple, n’a rien de
physiologique ou d’objectif (même si elle peut avoir des conséquences physiologiques) : elle dépend en
premier lieu de ce que nous n’arrivons pas à nous
satisfaire des possibles : nous nous forgeons une
image de la sexualité à travers les attentes
sociales et les fantasmes collectifs, plutôt qu’à
travers nos attentes personnelles et amoureuses,
les possibilités que nous offrent nos rencontres.
• Qu’attendez-vous avec plaisir
dans les jours, les semaines ou les mois qui
viennent? Idéalement, comment aimeriez-vous que
les choses se passent ? Quelles autres
possibilités s’offrent à vous? Au pire, comment
les choses pourraient-elles se passer ? Comment
pensez-vous réagir dans ces différents cas ?
• Dans quels domaines, de quoi
vous sentez-vous frustré? Qu’est-ce que vous
attendriez? En quoi cela correspond-il à l’image
que vous avez de vous même ? Qu’est-ce qui cloche
? Quelles possibilités avez-vous ? Pouvez-vous
imaginer d’ouvrir le champ de vos possibilités ?
D’où vous vient cette image idéale de vous même
(d’une personne, de lectures ou de films, de votre
enfance ou adolescence) ? Cette image est-elle
importante ? Pouvez-vous la remettre en cause ?
Comment vaincre la frustration ?
Nous nous imaginons que la seule manière de
vaincre la frustration est de la satisfaire. C’est
ce que veulent nous faire croire la société
marchande et les médias : un sac me plaît, il me
le faut ; la sexualité idéale implique ceci ou
cela, je dois manger comme ceci ou cela... Ces
conceptions sont la voie directe vers toujours
plus d’insatisfaction et de frustrations. Pour
m’en libérer, je peux :
• prendre de la distance par
rapport aux images et aux idéaux que me vendent
les médias, mais aussi que m’ont « vendu » mes
enseignants à l’école et les premiers d’entre eux
nos parents.
• considérer objectivement les
possibilités qui s’offrent à moi et apprendre à
les apprécier,
• construire ma vie sur une
éthique à long terme plutôt que sur la
satisfaction de mes plaisirs immédiats. Cela peut
être, par exemple l’octuple sentier décrit dans le
bouddhisme.
Je suis parti en Chine avec Marc
Aurèle dans mes bagages : j’en reviens avec
quelques "exercices spirituels" supplémentaires
pour combattre déception et frustration.
Le conseil de Marc Aurèle, maintes fois répété est
: « Délimite le présent » (Pensées VII, 29). Cela
veut dire : essaie d’entrevoir combien est
infinitésimal l’instant dans lequel l’avenir
devient passé. « Circonscrire le présent », c’est
d’abord libérer l’imagination des représentations
passionnelles du regret et de l’espoir, se libérer
ainsi d’inquiétudes ou de soucis inutiles, mais
c’est surtout pratiquer un véritable exercice
de la « présence de la Nature » en renouvelant à
chaque instant le consentement de notre volonté
à la Volonté de la Nature universelle. Ainsi
toute l’activité morale et philosophique se
concentre dans l’instant : « Voilà ce qui
suffit : le jugement fidèle à la réalité que
tu émets dans l’instant présent, l’action
communautaire que tu accomplis dans l’instant
présent, la disposition à accueillir avec
bienveillance dans l’instant présent tout
événement que produit la cause extérieure »
(IX, 6).
« Ou bien les dieux n’ont aucun pouvoir ou bien
ils en ont. Mais s’ils n’ont aucun pouvoir,
pourquoi les pries-tu ? Et s’ils ont du pouvoir,
pourquoi ne pas les prier de t’accorder de ne
craindre aucune de ces choses, de n’en désirer
aucune, de ne t’affliger de rien de tout cela, au
lieu de les prier pour que telle chose ne se
produise pas ou se produise. […]
Cet homme les prie en disant : « Puissé-je coucher
avec cette femme ! » Mais toi, dis plutôt : «
Puissé-je ne pas désirer coucher avec elle ! » Un
autre : « Puissé-je être débarrassé de ce souci !
» Mais toi : « Puissé-je n’avoir pas besoin d’en
être débarrassé ! » Un autre : « Puissé-je ne pas
perdre mon enfant ! » Mais toi : « Puissé-je ne
pas être affligé de le perdre ! » D’une manière
générale, modifie ainsi tes prières et vois ce qui
arrive. » (IX, 40)
Sénèque, un autre stoïcien écrit dans De
beneficiis, IV, 34, 4 : « Le sage entreprend
toutes choses « sous réserve » (cum
exceptione) i.e. à condition que rien
n’intervienne pour empêcher le résultat de
l’action. Si nous disons que tout lui
réussit et que rien ne lui arrive contre son
attente, c’est qu’il présuppose en esprit que
quelque chose peut intervenir qui empêche la
réalisation de son dessein… Cette « réserve »,
sans laquelle il ne projette rien et n’entreprend
rien, c’est elle qui le protège. » Mon conseil : Abdiquez tout pouvoir sur l'issue de votre problème
雷宓谐 dit Michel, 谢谢妹妹安娜
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