Le cœur de la guérison
par 雷宓谐 Michel MARTORELL
Introduction
Dans le Huang Di Nei Jing, le texte de base de la médecine chinoise qui a
été écrit il y a plus de 2000 ans, il y a un chapitre clé qui décrit les
fonctions des organes internes. Dans ce chapitre (Su Wen Chapitre 8, Ling
Lan Mi Dian Lun) il est dit que le cœur est le souverain du corps, qu’il
libère l'illumination de l'esprit quand il est sain (心 者, 君主 之 官 也, 神明 出
焉). Dans ce même chapitre, il poursuit en disant que, lorsque le monarque
(i.e., le cœur) est dans un état d'illumination brillante, tous les autres
organes sont en paix, assurent la santé et la longévité (故 主 明 則 下 安, 以此
養生則 壽). En outre, lorsque le monarque est dans cet état d'illumination
brillante, tout sous le ciel a une grande prospérité (天下 則 大 昌).
Le « cœur » dont on parle ici n’est cependant pas la simple pompe qui
propulse le sang dans les artères et les veines {Il aurait d’ailleurs du
mal à propulser le sang seul, sans les artères et les mouvements du
corps}. Au contraire, il est le symbole qui décrit l'étincelle même de la
conscience qui définit l'être humain. Il est la somme totale de notre
conscience, de nos émotions et de notre affect. Ainsi, il est vraiment le
souverain de notre vie.
En tant que pratiquant la médecine chinoise, je trouve que le traitement
de ce cœur-là avec les patients n’est pas si facile. Les thérapies
typiques de la médecine chinoise, par exemple l'acupuncture et les
médicaments chinois à base de plantes, sont souvent inefficaces à vraiment
amener les patients dans un état d'illumination du cœur, et ainsi assurer
le bien-être à long terme. On trouve cette évidence dans des dictons
populaires chinois typiques tels que, « la maladie du cœur n'a jamais été
traitée avec la médecine » (心病 從來 無 藥 醫) et «Les maladies du cœur
doivent être traitées dans le cœur [i.e., les maladies du cœur ne peuvent
être traitées qu’en travaillant avec l'esprit] » (心病 還 用心 藥 醫).
L'une des solutions à ce dilemme clinique que j'ai trouvée à la fois pour
moi et pour mes patients est une méthode de la psychologie chinoise connue
sous le nom de Nei Guan (内 観), et nous allons voir comment cette
prescription est efficace pour cette maladie du Cœur qui est si commune
aujourd'hui .
Nèiguān
Nèiguān est une pratique réflexive. Dans Nèiguān, le pratiquant reflète
sa relation avec les autres en utilisant le cadre de trois questions
apparemment simples à propos de ce qu'il a reçu, de ce qu'il a donné, et
des troubles ou difficultés qu'il a causés. Traditionnellement, on
commence par une réflexion sur sa relation avec sa mère pendant un laps de
temps défini, ainsi les questions deviennent:
• Qu'ai-je reçu de ma mère?
• Qu'ai-je donné à ma mère?
• Quels problèmes ou difficultés ai-je posé à ma mère?
Toutefois, le sujet des réflexions de chacun peut être isolé, et sans même
porter sur une période de temps spécifique, comme lorsqu'on utilise les
mêmes questions pour réfléchir sur le jour qui vient de se dérouler. Dans
ce cas, les questions restent les mêmes, mais englobent toutes les
rencontres au cours de la journée avec des personnes, des objets et même
des formes d'énergie (par exemple, la chaleur ou l'électricité). En
chinois le mot Nèiguān (內 觀) signifie «regarder à l'intérieur. »
Cependant, quand on regarde les significations plus profondes et les
connotations des caractères chinois utilisés pour écrire Nèiguān, nous
comprenons mieux ce que la pratique fait vraiment. Le caractère Nei (內 ou
内) dans le Shuo
Wen Jie Zi, l'un des premiers dictionnaires de langue chinoise qui
remonte au 2ième siècle, est composé de 冂 (un espace vide) et 入 (rù) «
entrer ». Le second caractère Guan est habituellement traduit par «
regarder, observer ». Cependant, dans le Shuo Wen Jie Zi la définition en
chinois est Di, « examiner » ou Shi « inspecter. » (觀: 諦 視 也). Dans le
bouddhisme le même mot Di signifie aussi « la vérité » (comme dans les
«Quatre nobles vérités » - Si Sheng Di - 四聖諦).
Dans Nèiguān, il y a une concentration intense sur les activités réelles
effectuées ou des choses réelles données ou reçues. Cela se fait sans
référence à une motivation cachée derrière le don ou ce qui a été reçu, ou
la raison pour laquelle la difficulté a été causée. Par exemple,
aujourd'hui, j’ai reçu le paiement de mes patients. Le fait que je leur ai
fourni un traitement en échange ne change pas le fait que je bénéficie de
l'argent qu'ils me donnent. De même, mes patients ont reçu un traitement.
Le fait qu'ils aient payé pour cela ne change pas le fait qu'ils ont
bénéficié de mon travail.
Par conséquent, ce que produit cette « observation intérieure » est de
nous demander de regarder les faits de notre vie objectivement. En faisant
cela nous commençons, même si c'est la première fois, à voir la vérité de
l'ensemble de nos vies plutôt que juste des tranches étroites de notre
expérience, ou de ce que nous voulons ou avons été conditionnés à voir. Tout
mis ensemble, nous pouvons voir pourquoi Nèiguān est une méthode pratique
pour « entrer dans la vérité. »
Du recul face à la Vérité
Même si nous avons précédemment mentionné trois questions fondamentales dans le cadre de réflexion proposé, nous devons être conscients d'une quatrième question – « ce que les troubles ou difficultés des autres me font?» Cette question, connue dans la pratique Nèiguān comme Wàiguān - 外觀, ou « apparence externe » n’est volontairement pas demandé lors de la réflexion Nèiguān. Se concentrer sur la façon dont « Moi » a été lésé est, dans de nombreux cas, l'une des causes de la souffrance. Cet autofocus est la voie directe vers le manque d'amour, de soutien et de bonté qui nous permettent de vivre ensemble dans la société. Dans le Shuo Wen Jie Zi, Wai est défini comme yuǎn (lointain, distant) - pour se démarquer de quelque chose (外: 遠 也). Ainsi, cette quatrième question, wàiguān, peut être considérée comme quelque chose qui « qui met de la distance entre "moi" et la vérité. » Il est intéressant de constater que la recherche moderne le confirme : porter une attention autocentrée excessive est associée à la dépression, à l'anxiété et à un large éventail d'autres troubles psychologiques. Au-delà, l'attention autocentrée est également associée à des troubles physiques tels que la douleur chronique et les maladies cardiovasculaires.
Le Confucianisme et le Cœur
Le Confucianisme est l'un des trois systèmes philosophiques de la Chine,
et en dépit de sa réputation d'être lourd et conservateur, certains des
enseignements les plus importants de Confucius concernent spécifiquement
le Cœur. Par exemple, dans le texte connu sous le nom Grande Étude (Da Xue
大學) il y a une belle tirade qu’on peut lire ainsi: «Les gens des temps
anciens qui souhaitaient briller de vertu éclairante au travers de chaque
chose sous le ciel cherchaient d'abord l'ordre du pays. Désireux de
commander le pays, ils ont d'abord réglementé leurs familles. Désireux de
réglementer les familles, ils se sont d'abord cultivés eux-mêmes. Désireux
de cultiver leur moi, ils rectifiaient d'abord leurs cœurs » {古 之 欲 明明德 於
天下 者, 先 治 其 國;. 欲 治 其 國 者, 先 齊 其 家; 欲 齊 其 家 者, 先修 其 身; 欲修 其 身 者, 先 正 其 心.}
La façon dont le confucianisme rectifie le Cœur peut être explorée en
examinant quelques-uns des concepts clés.
La Bonté (Shan 善)
Le confucianisme enseigne que la véritable nature de l'homme est la bonté désintéressée. Dans le Livre de Mencius (Mengzi), l'un des textes de base de la tradition confucéenne, le philosophe Mencius dit expressément, «la vraie nature de l'homme est la bonté » (孟子 道 性善 Menzi, Livre 5). Toutefois, en raison de la façon dont nous vivons et sommes socialisés, même si la bonté est notre vraie nature, c’est quelque chose qui doit toujours être pratiquée. Le quinzième livre des Analectes, un autre texte confucéen au cœur des enseignements oraux de Confucius, dit: «Est-il un mot qui puisse servir de règle de pratique pour la vie de tout un chacun ». Le Maître a dit « le pardon n’est-il pas ce mot? Ce que vous ne voulez pas faire pour vous, ne le faites pas à d'autres. » {子貢問曰:有一言而可以終身行之者乎?”子曰:“其恕乎!己所不欲,勿施於人。} Cette ligne souligne l'idée, comme mentionné ci-dessus dans la citation de la Grande Étude, que le Cœur doit être rectifié. Ici Confucius recommande la pratique du pardon comme un tel procédé. De cette façon, nous pouvons réapprendre notre vraie nature céleste de bonté, rectifier le cœur, et laisser tout sous le ciel prospérer.
Les Rites ou le Rituel (Li 禮)
Le mot rituel nécessite un peu plus d'explications que la bonté pour
vraiment comprendre son sens, en raison de nombreuses connotations. Dans
un contexte très étroit, le rituel signifie réellement, dans les temps
anciens, la pratique de rituels religieux ou autres. Le but du rituel dans
la Chine ancienne était de créer une sorte de communication avec soit les
ancêtres, soit les Cieux en tant que demeures des dieux et des esprits.
Ainsi, le but du rituel était de rétablir une sorte de relation correcte,
et cette idée de relations appropriées imprègne la pensée confucéenne.
Dans des préoccupations plus mondaines, le confucianisme se soucie par
exemple des relations sociales appropriées, telles que la relation entre
parents et enfants ou entre amis. Comment nous entrons dans ces relations
appropriées est donc une espèce de rituel.
La définition du rituel dans le Shuo Wen Jie Zi est plutôt obscure. Dans
ce document, il est dit, « le rituel signifie chaussures. » (禮: 履 也).
Qu'est-ce que les chaussures ont à voir avec les rites? Pour comprendre
cela, nous devons penser à la raison pour laquelle nous portons des
chaussures. Nous portons des chaussures bien sûr pour que nous puissions
marcher. Les chaussures sont les outils qui nous permettent de marcher le
long d'une route ou d’un chemin. De même, le rituel est l'outil qui nous
permet de marcher le long du chemin de la bonté. Ainsi, tout ce que nous
faisons pour entrer en relation et communiquer de la meilleure façon avec
nos proches les plus proches, nos amis et nos communautés est un aspect du
Rituel. Cela peut être aussi simple que de garder ouverte la porte à
quelqu'un dans le besoin, ou de prendre soin de jeunes enfants. Tout ce
que nous faisons avec la bonté du cœur est un acte du Rituel.
Une des phrases classiques en médecine chinoise est que « la douleur
provient de la stagnation » (不通則痛). Le mot que nous traduisons par «
stagnation », tong (通), signifie aussi la communication. Par conséquent,
l'expression peut aussi être lue comme « la douleur provient d'un manque
de communication. » Dans le corps, cela signifie que lorsque le Qi et le
sang ne circule pas en douceur il y a la douleur physique. Cela signifie
aussi que si nos relations avec les gens autour de nous sont brisées et
n’est pas l’expression de notre bonté innée, nous éprouvons aussi la
douleur. Ainsi le Rituel (les rites) peut aussi être traduit par «
Connexion Sacrée. »
la Bienveillance (Ren 仁)
La Bienveillance, aussi traduit par Compassion, est l'un des concepts les
plus importants du confucianisme, et c’est l'une des plus hautes vertus
dans la pensée chinoise. La définition de la Bienveillance dans le Shuo
Wen Jie Zi est le mot chinois Qin (仁: 親 也). Ce mot « Qin » peut être
traduit comme un parent, un intime, ou un proche. Le caractère chinois
lui-même est composé du caractère pour «personne» (亻), et le caractère
pour le chiffre deux (二). Ainsi, le sens de la Bienveillance est le
sentiment d'amour et de proximité qui devrait être connu lors de
l'interaction avec un proche aimé ou un membre de la famille. Idéalement,
c’est aussi le sentiment qui devrait s’établir lorsque nous interagissons
avec toute autre personne, et la véritable compassion est quand ce
sentiment s'étend à tout le monde universellement.
Dans la tradition confucéenne cette Bienveillance est associée à
l'altruisme. Voici la définition de la Bienveillance que Confucius
lui-même nous donne: « Passer au dessus du soi et retourner à l'état de
Connexion Sacrée (Li), c'est ce qu'on appelle Bienveillance. » {克己復禮 為 仁}
(Analectes Livre 12).
Confucius relie le Cœur de compassion et de bienveillance à la pratique
d'entrer dans une relation (Li, Connexion Sacrée) avec les autres qui
exprime la bonté (Shan). La façon dont cela se fait est d’oublier le moi,
ou, en d'autres termes, se détourner de comportements égoïstes.
Nèiguān nous enseigne, d'une manière très concrète, simple et puissante,
que notre vie est pleine de Connexions Sacrées (Li). Pratiquer la
réflexion Nèiguān engendre la reconnaissance pour tout le soutien que nous
recevons chaque jour, et en tant que tel nous amène au mieux dans la
Connexion Sacrée, notamment en domptant le sentiment d’être supérieur ou
important. En tant que tel, cette pratique incarne parfaitement la
définition confucéenne de la Bienveillance et de la compassion: «
Soumettre le soi et retourner à l'état de Connexion Sacrée (Li), c'est ce
qu'on appelle la Bienveillance. »
Rectifier le cœur
La médecine chinoise considère le corps comme étant idéalement dans un
état d'homéostasie dynamique. Chacun des organes internes a sa propre
fonction, mais plus important que les différentes fonctions est la façon
dont ils interagissent les uns avec les autres dans des relations
appropriées. Dans ma pratique, je vois les Cœurs souffrants de nombreux
patients, et pendant de nombreuses années, j’ai cherché une méthode
pratique pour rectifier le cœur telle que les ouvrages classiques chinois
médicaux et confucéens appellent aussi la voie de la santé et de la
plénitude ou longévité. Avec Nèiguān, nous voyons un exemple d'une
véritable méthode, pratique et facile, et qui, avec un effort cohérent,
peut apporter une rectification du Cœur. Une fois que le Cœur est
rectifié, finalement tout sous le ciel sera paisible (en paix). Une fois
que le Cœur est rectifié, la Connexion Sacrée est rétablie, et la douleur
disparaît enfin, comme la fonte des neiges sous l'eau chaude.
雷宓谐 Michel MARTORELL